L'Afrique restera-t-elle pauvre à cause de ses matières premières ?
- sergemenye
- 16 nov.
- 3 min de lecture

Certains se plaisent à claironner que l’Afrique, riche de ses ressources naturelles, détient un trésor qui doit logiquement la conduire à la prospérité. Ce refrain résonne, on l’entend comme une promesse presque romantique, un slogan populaire. Mais, à y regarder de plus près, la réalité est bien plus nuancée — et souvent cruelle.
Il est vrai que des pays comme la République démocratique du Congo (RDC) détiennent des ressources particulièrement stratégiques : le cobalt, le coltan. Le cobalt congolais est mondialement central : le pays fournit plus de 70 % de la production mondiale de cobalt. De même, la RDC produit du coltan, un minerai rare très utilisé dans l’électronique. Mais contrairement aux croyances répandues, l’Afrique n’a pas le monopole des matières premières comme le montre l'image ci-dessous : d'autres régions du monde produisent aussi des minerais stratégiques, certains gisements sont également exploités en Asie, en Amérique latine, etc. De plus, la possession de la ressource ne garantit pas automatiquement la richesse, car matière elle seule ne vaut rien et la valeur ne se résume pas à l'extraction.

Une matière première non transformée perd une grande partie de son potentiel de valeur. En Afrique, un problème persistant est que beaucoup de minerais sont exportés à l’état brut, sans transformation locale. Le raffinage, la transformation industrielle, la production de composants à haute valeur ajouté : ce sont des entreprises étrangères qui s'en chargent. Ainsi, ce sont elles qui tirent les bénéfices majeurs, tandis que les populations locales restent exposées aux dégâts environnementaux : dégradation des sols, pollution des eaux souterraines, impacts sanitaires. En RDC, par exemple, des études alertent sur la contamination des nappes phréatiques autour des sites miniers, un lourd tribut payé par les communautés locales avec des maladies.
Demain, le monde pourrait se passer (ou moins dépendre) des ressources africaines qui deviendraient ainsi, littéralement inutiles. Plusieurs tendances convergent pour menacer la demande future des minerais africains. Tout d'abord la transition énergétique s’accompagne d’exigences de durabilité, de traçabilité, de reporting ESG, et beaucoup d’entreprises minières africaines n’ont pas les moyens ou les infrastructures pour se conformer à toutes ces normes. Ensuite, certaines innovations réduisent la demande pour des minerais aujourd’hui stratégiques. Par exemple, des recherches sur les batteries au sodium-ion — très abondant, peu cher — montrent que cette technologie pourrait concurrencer certaines batteries au lithium. Si le sodium-ion se développe à grande échelle, la pression sur des métaux comme le lithium, voire le cobalt, pourrait diminuer. C'est déjà le cas en Chine, les types de batteries “low-cobalt” ou sans cobalt.
Le Botswana est un exemple particulièrement illustratif du manque de stratégie et d'anticipation : longtemps, les diamants naturels ont été le pilier de son économie. Mais l’essor des diamants synthétiques, produits en laboratoire a bouleversé le marché. Ces pierres de synthèse sont beaucoup moins coûteuses, ce qui fait baisser les prix des diamants naturels. En 2025, Debswana (coentreprise Botswana / De Beers) a réduit sa production, en partie pour éviter de déprimer encore plus le marché. Le gouvernement botswanais a dû faire face à un recul des revenus, ce qui fragilise fortement une économie très dépendante de ce secteur. Désormais, le pays tenter une diversification dans l'urgence : création d’un fonds souverain, investissements dans le solaire, le tourisme, d’autres minerais. Ce cas montre que même un “trésor national” bien exploité peut devenir une source de grande vulnérabilité à long terme si rien n’est diversifié.
Dans ce cas, on ne peut pas oublier la Guinée qui vient à grand bruit de démarrer son site de production de fer, et qui ne fera que saturer le marché et donc faire baisser les prix.
Au-delà des défis économiques, il y a des conséquences politiques et sociales profondes : guerres, corruption, coups d’État. L’histoire de nombreux pays africains démontre que les minerais peuvent devenir des leviers de pouvoir cyniques plutôt qu’une richesse partagée. Ces ressources, au lieu de bâtir des infrastructures durables, alimentent des conflits et enrichissent des élites ou des multinationales. L’illusion d’une “richesse automatique” portée par le sous-sol africain est dangereuse : l’Afrique doit aller au-delà d'une terre d'extraction pour construire ses propres capacités industrielles, investir dans les compétences, anticiper les disruptions technologiques et assainir radicalement la gouvernance. Ce n’est qu’ainsi que ses ressources pourront être un véritable levier de développement, et non un ingrédient destructeur.





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