Le meilleur pays d'Afrique est-il en train de mourir ?
- sergemenye
- 11 oct.
- 5 min de lecture

Longtemps considéré comme un modèle africain de stabilité, de gouvernance et de développement, le Botswana traverse aujourd’hui l’une des crises les plus sérieuses de son histoire moderne. Ce pays enclavé, désertique à plus de 80 %, jadis méprisé par l’administration coloniale britannique qui affirmait qu’« il ne s’y passerait jamais rien », a prouvé le contraire. Depuis la découverte de ses premiers gisements diamantifères à la fin des années 1960, il a bâti une économie solide, fondée sur la bonne gestion de ses ressources naturelles et sur des institutions stables. Mais le miracle botswanais semble vaciller : la dépendance au diamant, autrefois source de fierté nationale, devient aujourd’hui son talon d’Achille. Le pays a transformé, mais il n'a pas diversifié.
À l’indépendance en 1966, le Botswana n’était qu’un vaste territoire semi-aride sans routes ni universités, où l’élevage constituait la seule activité économique d’envergure. Moins d’un an plus tard, la découverte du gisement d’Orapa bouleverse le destin du pays. En deux décennies, l’économie se transforme radicalement : l’agriculture, qui représentait 40 % du PIB, chute à 2,4 %, tandis que les diamants assurent 80 % des exportations et près d’un tiers du PIB. Grâce à une gouvernance prudente, les revenus miniers ont été réinvestis dans l’éducation, la santé et les infrastructures, faisant passer le taux de pauvreté de 50 % à moins de 20 %.
La réussite botswanaise a souvent été expliquée par la qualité de ses institutions salués par ailleurs par Daron Acemoglu dans "Why Nations Fail". La tradition du kgotla, héritée des structures tribales tswana, a permis d’enraciner une culture de concertation et de responsabilité politique. Le pouvoir s’y exerce sous le contrôle du peuple, conformément à l’adage local : « Un chef n’est chef que par la grâce du peuple. » Cette culture démocratique, préservée après la colonisation, a permis d’éviter la « malédiction des ressources naturelles » qui a ravagé tant d’autres pays riches en minerais. Pendant des décennies, le Botswana a incarné une Afrique vertueuse, où la richesse ne rimait pas avec corruption. Avec un produit intérieur brut par habitant atteignant 7 696 dollars en 2024, le Botswana se démarque par des indicateurs sociaux encourageants : près de 70 % de sa population vit au-dessus du seuil de pauvreté fixé par les Nations Unies à 1,25 dollar par jour et par habitant. La manne diamantifère, savamment exploitée, a favorisé l’émergence d’une classe moyenne dotée d’un pouvoir d’achat conséquent, participant activement à la vitalité du marché intérieur national.
Encore mieux. La prospérité économique s’accompagne d’un développement humain inclusif. L’État a investi dans les secteurs clés d’avenir. Le tourisme, fort de ses paysages préservés et de sa biodiversité exceptionnelle, bénéficie d’une attention particulière. Par ailleurs, la santé demeure une priorité majeure : juste après l’éducation, une part significative du budget national lui est consacrée. Les infrastructures hospitalières du Botswana, dotées d’équipements de pointe, rivalisent désormais avec celles des pays développés, permettant aux dirigeants et à la population de bénéficier de soins de qualité sur place, à rebours de la tendance observée dans nombre d’autres pays africains dont les présidents qui vont se soigner à Paris et maintenant en Turquie ou encore en Moldavie. Par cette politique volontariste, le Botswana a tracé la voie d’un développement harmonieux, fondé sur l’équité, l’innovation et le bien-être de ses citoyens.
Mais, contrairement au titre du film de James Bond, les diamants ne sont pas éternels. Depuis 2023, les signaux d’alarme se multiplient. Lucara Diamond, l’une des principales compagnies minières du pays, a annoncé une perte nette de 20 millions de dollars après des bénéfices records l’année précédente. Son rapport financier avertit que l’entreprise ne dispose plus de fonds suffisants pour honorer ses engagements. De Beers, partenaire historique du Botswana, est également en difficulté : ses activités ont enregistré 189 millions de dollars de pertes au premier semestre 2025, et ses stocks invendus atteignent 1,8 milliard de dollars. La coentreprise Debswana, qui représentait l’épine dorsale du modèle botswanais, a vu son chiffre d’affaires chuter de plus de 50 % en deux ans.
Sur le terrain, la crise se fait déjà sentir. À Jwaneng, la ville minière la plus productive du monde, des centaines d’ouvriers ont été licenciés. Les rues autrefois animées se vident, et les anciens mineurs se reconvertissent en vendeurs de bord de route. Le rêve d’une prospérité durable s’effrite sous le poids des réalités économiques. Le syndicat des mineurs alerte sur la montée du chômage, de la dépression et de la précarité, tandis que les autorités peinent à proposer des solutions de reconversion.
Cette crise ne s’explique pas seulement par les fluctuations du marché, mais aussi par une mutation structurelle : la montée fulgurante des diamants synthétiques. En 2019, ils ne représentaient que 5 % du marché américain ; en 2024, près de la moitié des bagues de fiançailles vendues contenaient des pierres de laboratoire, 80 à 90 % moins chères que les naturelles. L’illusion de rareté, fondement du prestige du diamant, s’effondre. Comme le résume l’historien Duncan Money : « L’attrait des diamants reposait sur leur rareté. Or, ils ne le sont plus. » Contrairement au pétrole, dont la demande finit toujours par rebondir, le diamant pourrait ne jamais retrouver son éclat économique. Cette dépendance à un seul produit fragilise tout l’édifice. Le FMI prévoit une contraction de 0,4 % du PIB en 2025, et le ministère des Finances admet déjà un déficit budgétaire record : le gouvernement dépensera 7,5 % de plus qu’il ne gagne, tandis que la dette publique pourrait doubler pour atteindre 43 % du PIB. Dans les hôpitaux, la pénurie de médicaments s’aggrave. L’État, autrefois modèle, accumule les factures impayées.
Pourtant, le Botswana a longtemps montré l’exemple. Il a imposé la transformation locale de ses matières premières, obligeant les entreprises à créer de la valeur ajoutée sur place. Cette stratégie a permis d’attirer des investissements étrangers, de développer un capital humain solide, et même de transférer la bourse internationale du diamant d’Anvers à Gaborone — symbole éclatant de souveraineté économique africaine. Parallèlement, l’État a promu l’entrepreneuriat avec des mesures incitatives uniques : création d’entreprise simplifiée, terrains gratuits pour les projets employant plus de 1000 salariés, et université publique gratuite avec allocation d’attente d’emploi pour les diplômés. Mais cette prospérité reposait sur une hypothèse fragile : celle d’un marché du diamant éternellement porteur.
Aujourd’hui, cette illusion s’effondre. Le Botswana, fier d’avoir su faire du diamant un levier de développement, découvre la dure leçon des économies mono-productrices. Son avenir dépendra désormais de sa capacité à se réinventer : en diversifiant ses sources de revenus, en soutenant l’agriculture, le tourisme et les technologies, et en consolidant ses institutions face à la tentation du déclin. Le pays le plus stable d’Afrique n’est pas encore à genoux, mais il vacille. Et l’histoire pourrait bien retenir que le jour où les diamants ont cessé d’être rares, le Botswana a cessé d’être une exception. On ne le souhaite pas.

