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Quand l’Afrique était vraiment le centre du monde

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Frantz Fanon affirmait que « l’Afrique a la forme d’un revolver dont le Congo est la gâchette ». Le film documentaire "Soundtrack to a Coup d’Etat", actuellement à l’affiche, ressuscite avec une impressionnante intelligence artistique et historique une époque clé du continent africain. À travers des images d’archives, reportages et témoignages poignants, le film dépasse le simple divertissement pour devenir un puissant récit, exposant une Afrique à la fois convoitée par l’Occident et vaillamment défendue par ses plus belles figures emblématiques.


Le titre, ingénieusement construit, marie l’univers du jazz à la violence politique des coups d’État. La bande-son choisie, dominée par des maîtres comme Louis Armstrong et Dizzy Gillespie, rappelle comment la musique noire fut instrumentalisée par les États-Unis pour influencer l’Afrique et ses élites, souvent à leur insu. Armstrong, découvrant tardivement la manœuvre, songea même à renoncer à sa nationalité américaine.


L’Amérique, omniprésente à l’époque, s’illustre par des allers-retours diplomatiques de leaders comme Lumumba, Nkrumah et Nasser à l’ONU, et par la solidarité de Harlem, où Fidel Castro et Malcolm X côtoient la diaspora africaine. Sous la façade d’un discours contre l’ingérence, Eisenhower autorise secrètement l’assassinat de Lumumba, avec la complicité de la Belgique, du Royaume-Uni et même de l'ONU, pour préserver l’accès aux ressources stratégiques du Congo, notamment l’uranium utilisé dans les bombes atomiques américaines.


Malgré tout, l’Afrique n’était pas isolée : le sommet de Bandung en 1955 incarne l’unité afro-asiatique, où Nasser, Nehru et Zhou Enlai soutiennent ardemment la cause africaine, tandis que, paradoxalement, certains traîtres africains - dénoncés même avec force par le représentant de l'Inde à l'ONU - restent passifs face au drame congolais. Le film montre la naissance de l'interminable chaos congolais, avec un dictateur sanguinaire nommé Mobutu imposé par l’Occident, et l’élimination de Lumumba, marquant la fin d’un panafricanisme prometteur.


L'Afrique était belle. À cette époque, les leaders africains – Sékou Touré, Nkrumah, Nasser, Lumumba, Julius Nyerere – portaient un espoir comparable à celui de Deng Xiaoping pour la Chine ou Lee Kuan Yew pour Singapour, mais l’Afrique, minée par les ingérences et la maladie de la trahison, n’a pas su transformer l’essai. Les asiatiques contrairement aux africains ont réussi à repousser les assauts extérieurs grâce à une vigilance paranoïaque contre les traites et une meilleure organisation avec des partenaires crédibles. Ce qui a manqué à l'Afrique : unité, vigilance, fidélité, sérieux, loyauté, organisation.


Au cours de ces années, la Russie était aussi en Afrique, et bien que Khrouchtchev défendait avec force la liberté des africains et dénonçait avec fureur le colonialisme, elle ne s'est vraiment pas impliquée, en dehors par exemple des chasses neige envoyés en Guinée - ce qui restera le plus grand exemple de l'histoire de la désinvolture de l'aide et de la coopération diplomatique. Le film pourrait raviver l'hyper sensibilité des soldats victimaires adeptes du complot occidental, mais ce serait injuste pour une œuvre d'une telle qualité. Car, il rappelle avec brio deux choses : il fut un temps où l’Afrique était au centre des enjeux mondiaux, mais que tous ses enfants n’étaient pas prêts à se battre pour le continent ; et la meilleure musique du monde a servi comme levier d'action contre l'Afrique.

 
 
 

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